Introduction
Mon poème tente de capturer le réel et le « paradis perdu » (Onimus, 2017, p. 11) que le capitalisme a fait déchoir. Ce paradis me provient des dires de ma grand-mère et bouillonne de vie. Il tente humblement de répondre à la rationalité une vérité pleine de mystère et de ressentis. J'ai choisi la poétique pour exprimer le champ de force qu'est ma grand-mère, car je ne peux la limiter à la cage des concepts de la prose. J'ai tenté de faire s'évader de la prose et de la rationalité délétère de mon travail. En effet, comme le dit Onimus dans son livre « Qu'est-ce que la poétique? », cette prose qui exprime la technique et qui domine le champ de l'expression délaisse la véritable nature de la vie. Le capitalisme laisse peu d'espace à l'expression de soi, il laisse peu de place à l'expression de la perception dans sa création.
Il m'était donc impossible de laisser cette sècheresse imprégner mon travail. Je désirais créer un travail qui narrait non seulement une relation à un système, mais aussi une vie dans un système, une réelle vision de sa propre vie. L'ouvrage « Qu'est-ce que le poétique? » d'Onimus permet de comprendre cette force d'évocation de la réalité subjective. Or, cette réalité, celle de ma grand-mère, est nuancée et ne peut que difficilement être résumée à des mots neutres et techniques. À l'image de la prose, l'on a tenté de la réduire, pourtant, ses forces vives lui ont permis de demeurer fidèle à elle-même.
J'ai intégré l'ensemble des travaux produits précédemment dans le cours dans ce poème, en réécrivant le message de chacun de ces derniers dans mon poème. Dans la lecture que je fais de ce poème, j'intègre des chansons françaises qui m'ont été apprises par ma grand-mère ainsi que certaines que je lui ai moi-même transmises, dans un échange intergénérationnel. De même, j'ai intégré des images captées dans le cadre de l'exercice vidéo du cours lors de la lecture du poème à voix haute.
La poétique me sert dans ce travail pour décrire une réalité qui dépasse la prose, celui du legs entre une aïeule et sa progéniture, qui ne se limite nullement à une technicité. Malgré les tentatives capitalistes de réduire le monde au tangible, au commerce et à la productivité, la vie déborde de ces ornières. Voici le débordement que j'en perçois.
L'arbre vu du fruit
J'ai coupé et recollé
Les étoffes du souvenir
Celles de mon hérédité
J'ai fait une courtepointe
De fleurs, de blessures et de balles
Qui écrivent l'histoire
Voici le capharnaüm
Du fruit vert
Qui raconte l'arbre
Aïeule, je connais ton prénom
Celui dont on t'a dépouillé
Remplacé par un vil pronom
Mais tu gardes l'ancien en entier
Aïeule aux iris patinés
Élue par amour
Par une enfant à l'âme effrayée
Par la camarde qui endeuille
Les âmes innocentes
Les âmes coupables
Aïeule connue dans l'ombre du silence
Dans la lumière des paroles
Où la lyre d'Apollon se tait
Où la voix de Clio chante
Dans les brumes d'Arvida
Brumes chimiques d'aluminium
Quel contentement m'habite
De connaître la tapisserie du souffle
De la plus grande des mères
Témoin des bouleversements
Des époques industrielles
Des cheminées de fonte
Du charbon atmosphérique
Des orteils coupés
Du travail en santé et en sécurité
Aïeule, je connais ton prénom
Celui dont on t'a dépouillé
Remplacé par un vil pronom
Mais tu gardes l'ancien en entier
Images qui camouflent l'histoire
Par leur naïveté
Dessinée de la main
D'une enfant éperdue
Mais je me pardonne
D'être cette cette enfant éperdue
Car je dessine ma grand-mère
Comme une Vénus
Soutenue par le fenouil
Surplombant la pygargue
Contrefort des tulipes hollandaises
Aïeule, je connais ton prénom
Celui dont on t'a dépouillé
Remplacé par un vil pronom
Mais tu gardes l'ancien en entier
Photographies au pâle jour
L'astre diurne est rond
Rond du fait des alcools
Des fruits qui pourrissent
Dans les champs profanés
Par l'Alcan et sa rivière rouge
Mais les herbes sont hautes
Et le fjord est triste
Car personne ne le voit
Ils voient un paysage
Et non un fleuve mouvant
Et non une maison marine
Et non un estuaire sanctuaire
Et les bijoux qui émergent
Du sol torturé
Ils parent bien les cous
D'où la douce vanité émerge
Mais ce n'est pas grave d'être vaniteuse
Ce n'est que naturel
D'être belle
Quand on est un objet
Ne t'inquiète pas, dit grand-mère
Tu es peut-être belle
Mais tu peux aussi fabriquer
Le soleil et la fougère
T'es chanceuse, tu vois d'avance
Brode-le
Même si ça ne se vend pas
Aïeule, je connais ton prénom
Celui dont on t'a dépouillé
Remplacé par un vil pronom
Mais tu gardes l'ancien en entier
Images en mouvement surexposées
Celles du paysage qui change
De la terre bétonnée
Du vent qui passe comme les automobiles
Sous la chanson qui reste la même
Qui se transmet de mère en mère
De mère en fille
De fille en embryon
Et les couleurs qui se perdent
Les nuances disparaissent
Et le gris naît
Mais la chanson demeure
La symbolique mute
Aïeule, je connais ton prénom
Celui dont on t'a dépouillé
Remplacé par un vil pronom
Mais tu gardes l'ancien en entier
Mots qui ne servent qu'à parler
Sèchement
Énumérer les listes d'épiceries
D'une aïeule qui dépasse les mots
Et qui les dépassera encore
Quand le langage sera mort
Aïeule, je connais ton prénom
Celui dont on t'a dépouillé
Remplacé par un vil pronom
Mais tu gardes l'ancien en entier
Mots qui ne servent qu'à déclamer
Dans l'espace qui coule
Tranquillement
Dans l'espace qui se déplace
Qui se replie
Qui se rebaptise
Autour de mon aïeule
Car elle est point fixe
Et tout le reste autour d'elle se résume à du bruit
Et de la folie
Elle ancre la raison
Aïeule, je connais ton prénom
Celui dont on t'a dépouillé
Remplacé par un vil pronom
Mais tu gardes l'ancien en entier
Dans le temps qui fond
Autour de son vécu
Lorsqu'elle le dit
Les années ne sont qu'un concept
Qui se modèlent autour de ses mots
Une sève collante de connifère
Qui parfois devient ambre
Et préserve les instants
Dans la lumière
Qui filtre dans la pierre vivante
Aïeule, je connais ton prénom
Celui dont on t'a dépouillé
Remplacé par un vil pronom
Mais tu gardes l'ancien en entier
J'émerge de son âme grande
Si les musiques sont les vivres de l'amour
Le deuil est le couperet de l'espoir
Mais je sais pour sûr que son monument
Vivra dans mon âme
Peu importe son prix
Car les grenouilles meurent
Mais pas les queues de poêlons
Et les souvenirs appartiennent
À ceux qui se souviennent
Et je me souviens
Née sous le lys je crois sous la rose
Mais surtout
Née de son calice
Je la vois en toute chose
Donc je me souviens
Que les oiseaux s'éteignent Que tout le monde ignore
Tout le monde ignore
Qu'il ne faut pas se marier
Qu'il faut garder son nom
Qu'il faut choisir
La liberté plutôt que la fleurette
La médecine plutôt que la broderie
L'argent comme pouvoir
Secret mais essentiel
À toute impuissante
Pour devenir puissante
La puissance est le secret
De la liberté
Avec les chiens
Qui ne songent jamais à tyranniser
Seulement à dévorer
Les volailles sauvages
Elle me demande
Le félin
Celui qui ronronne
Mange-t-il des oiseaux ?
Parfois les gens oublient
Que les oiseaux vivent
Et meurent avec la beauté du monde
Moi je n'oublierai pas
Car elle m'a donné le souvenir
Et la curiosité
La compréhension délétère
Des souffrances
Et la glorieuse compagnie
De ses souvenirs
Elle m'a dit comment bouger
Pour déplacer
Le vélocipède
Comment le mouvoir dans l'eau verte
Mais bruyante
Des canards
Où la boue chatouille les orteils
Où ma mère n'aurait jamais voulu
Me retrouver
Mais je ris car c'est drôle
La boue est douce
Et l'argile est froide
Maintenant aussi je sais
Que la brunante n'attire pas les grenouilles
Mais les Anaxyrus americanus
C'est différent
Mon aïeule me dit
Que le privé est politique
Que le malheur se moque de nous
Qu'il est donc de notre devoir de le moquer
Qu'il faut être doux
Avec les petits et les ancêtres
Et aussi avec les petits ancêtres
Mais il faut être une harpie
Une virago, un dragon
Parce que vivre vrai
Est mieux que mourir bellement
Même si les pendants d'oreille
Peuvent être une exception
À la force incorruptible
Car ils sont si jolis
Ici, je ne saurai être véhicule de la science
Car je suis le fruit
De l'arbre que j'étudie
Conclusion
La poétique me permet de comprendre et d'exprimer le champs de forces qu'est ma grand-mère. Elle s'avère le témoin de temps changeant, mais surtout, elle est son propre agent et conservera sa voix mentale dans mon esprit pour l'ensemble de ma vie. Les exercices créatifs et multimédias m'ont permis de comprendre et d'inspecter ma compréhension de sa vie et de la comparer à la sienne. Le dessin m'a autorisé de dessiner une carte mentale de mes perceptions, alors que la photographie et sa manipulation m'a laissé trafiquer l'objectif pour le rende subjectif. Alors que le médium de l'image mouvante explore le souvenir, le changement et la perte, le son se questionne sur la vieillesse et son son. La prose permet d'analyser ce qui fait l'impression de ma grand-mère et la poésie, l'existence de l'aïeule et sa disparition potentielle. Les lignes d'espace et de temps permettent de tracer une biographie excentrique de Jeannine Hubert et la pensée de ma présence pose le contexte des autres créations. Je réalise que cet effusion de forces, que le capitalisme tente de capturer, s'évade par tous les interstices disponibles. La poétique me permet de canaliser cette force et de l'exprimer au monde. En définitive, il semblerait désirable de connaître la poétique que ma grand-mère tire de mon champs de force.
Bibliographie
Articles de périodique
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GAILLARD-SEUX, Patricia (2016). « L’automédication animale : le serpent et le fenouil, l’hirondelle et la chélidoine. Du mythe à l’indication médicale », Histoire, médecine et santé, no 8, p. 47–68. doi : https://doi.org/10.4000/hms.862
ROSA, Hartmut, and Jean VETTRAINO. (2016) « La logique d’accélération s'empare de notre esprit et de notre corps ». Revue Projet vol. 6 p. 6-16.
Livres et monographies
ONIMUS, Jean. (2017). « Qu'est-ce que la poétique ? », Paris, Poesis, 212 p.
Articles de journaux
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SCEMAMA, Corinne. (2015) « On aimera toujours "Le temps des cerises" », L'Express, [En ligne] [https://www.lexpress.fr/actualite/societe/1871-on-aimera-toujours-le-temps-des-cerises_1748336.html] (Consulté le 8 octobre 2020)
Contenu web
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Entretiens
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Chansons
ANONYME. (s.d.) « À la claire fontaine », [Chanson].
ANONYME. (s.d.) « Isabeau s'y promène », [Chanson].
ANONYME. (s.d.) « La complainte de la blanche biche », [Chanson].
ANONYME. (s.d.) « J'ai cueilli la belle rose », [Chanson].
ANONYME. (s.d.) « Quand je menais les chevaux boire », [Chanson].
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CLÉMENT, Jean-Baptiste, et RENARD, Antoine. (1866) « Le temps des cerises », [Chanson].
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Poèmes
ÉLUARD, Paul. (1942). « Liberté » dans « Poésie et vérité 1942 », Paris, Les éditions de La main à plume.
Images
PINTEREST, (s.d.) Sailor Jerry Traditional Tattoo - Pinup Red Cross Nurse, [Dessin en ligne]. [https://www.pinterest.ca/pin/543246773796952898/]
PINTEREST, (s. d.) Sailor Jerry/ Tinkov archive, [Dessin en ligne]. [https://www.pinterest.ca/pin/429460514441763042/]
ALIEXPRESS, (s.d.) Bouquet de tulipes Orange hollandaise fleurs de mariage de mode faux bulbes artificiels tulipe nuptiale tulipe Orange hollandaise,[Dessin en ligne]. [https://fr.aliexpress.com/item/32820689422.html]
OTTO WILHELM THOMÉ, (1885. )Foeniculum vulgare, [Dessin en ligne]. [https://fr.wikipedia.org/wiki/Fenouil_commun#/media/Fichier:Illustration_Foeniculum_vulgare1.jpg]
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