La présentation de ce billet m’a permis de replonger dans une situation que j’ai vécue étant enfant et qui correspond probablement à la première fois où j’ai été exposé à l’itinérance. À tout le moins, c’est certainement la première fois que ça a capté mon attention de cette façon (le «comment», mais aussi l’intensité). Revisiter ce souvenir aide à mieux comprendre mon propre rapport à l’itinérance, comment il a évolué au fil du temps et comment celui-ci module le travail que je suis entrain de construire.
Je devais avoir 5 ou 6 ans. J’attendais ma mère qui avait stationné l’auto en face d’un immeuble/commerce quelconque en compagnie de ma sœur et de mon frère qui sont beaucoup plus âgés que moi. En la regardant entrer dans le bâtiment, qui était un peu plus loin, j’ai aperçu un homme assis contre le mur, maigre et torse nu. Je ne pourrais pas dire si je l’ai identifié comme « itinérant », mais j’ai senti une différence par rapport à ce que je connaissais. Différence physique, mais aussi dans ce qu’il dégageait. Intrigué et plein de questions, j’ai eu le réflexe d’ouvrir la porte de la van familiale (vraiment pas discret) pour mieux le regarder. L’homme s’en est aperçu et a lancé, sans sembler fâché mais probablement dérangé d’être épié de la sorte, « vous ouvrez la porte pour me regarder c’est ça? ». Je me suis senti coupable et lui ai répondu que non un peu par réflexe, puis mon frère et ma sœur m’ont pressé de fermer la porte. Mes gestes étaient évidemment intrusifs, d’où la réaction de l’homme, mais l’atmosphère dans l’auto me faisait aussi sentir qu’il y avait un malaise lié à qui j’avais observé, pas seulement comment je l’avais fait. J’ai eu le sentiment d’avoir transgressé quelque chose. Un peu comme si je m’étais intéressé à quelque chose à laquelle il ne fallait pas s’intéresser. C’était la différence de cet homme qui m’avait intrigué, mais je crois qu’elle m’a intrigué autant parce que je m’associais à lui en tant qu’humain. Le mur derrière lui était à bien des égards bien plus différent de moi, mais mon regard ne s’était même pas posé sur lui.
Je trouve qu’on a souvent tendance à se perdre dans les étiquettes que l’on attribue aux gens. Une telle est professeure, l’autre drôle, l’autre athlète, l’autre pauvre, etc… C’est quelque chose de naturel, et pas nécessairement mauvais, mais le sens de ces étiquettes vient en partie de la valeur qu’on leur associe. L’itinérant, que ce soit par pitié ou insensibilité, a généralement peu de valeur. Sauf que l’itinérant, avant (et au-delà) d’être ce que son étiquette dit qu’il est, est un être vivant. Il vit, tout simplement. La vie en soi, et en tant qu’expérience, a de la valeur. Et la multiplicité des possibilités que permet cette expérience a une grande valeur.
En grandissant, j’ai développé une compassion à l’égard des personnes itinérantes. Il m’est probablement arrivé de tomber dans l’écueil de la pitié, mais je parle de compassion parce que je ne trouvais pas justifié le discours de peur et de condescendance à leur égard. Reconnaissant la valeur de l’expérience itinérante, je trouvais particulièrement intéressant de voir ce qu’on pouvait comprendre du capitalisme en se concentrant sur ceux qui semblent en être les laissés-pour-compte. En fin de compte, cette exclusion n’est pas toujours imposée ni subie.
Comme M. Jaclin me l’a conseillé plus tôt, je voulais profiter de ce billet pour aller à la rencontre d’une personne qui vit l’itinérance au quotidien. J’attendais cependant les résultats d’un test de dépistage à la Covid, ce qui m’a empêché de le faire. Je compte profiter du temps qu’il reste avant la remise du travail final pour faire cette expérience. La sensibilité de quelqu’un pour qui le rapport à l’itinérance est celui de l’expérience, jointe à ma sensibilité en tant qu’observateur, devraient permettre de brosser un portrait assez intéressant de la façon dont ce phénomène d’exclusion s’insère dans notre écologie sociale.
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