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Photographie du loci : Jeannine Hubert

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La photo que je soumets pour représenter mon loci comporte trois éléments. Elle ne comporte toutefois pas ma grand-mère, puisque pour des raisons liées au coronavirus, il m'était impossible de la photographier en personne. La photographie est une double exposition, c'est-à-dire une manipulation photographique qui permet de faire deux photographies sur le même film. Cette manipulation a toutefois été faite de façon électronique et non physique. Cette manipulation permet de combiner une vision microscopique et macroscopique des stigmates liées au capitalisme. En effet, le premier plan est une photographie rapprochée d'éléments qui caractérisent la sujétion individuelle féminine au capitalisme, le travail gratuit et l'achat nécessaire. Le second plan représente un paysage aaffecté par les transformations profondes causées par les activités économiques. L'influence des cheminements individuels comme des coups de pinceaux sur la toile du monde est ainsi symbolisé par cette imbrication d'images numériques.


Sur le premier, plan, un béret brodé par mes soins figure. Ce béret brodé a été créé par mes mains, par une technique de point droit que ma grand-mère m'a appris. Les fils piqués dans la laine demandent des heures de travail pour créer un dessin appréciable au regard des autres. Cet artisannat, pour ma grand-mère sert à s'embellir, à entremêler des couleurs dans sa présentation pour se rendre plus charmante. Si cette activité possède désormais une valeur économique certaine, par le biais des marchés d'artisannat en ligne, ma grand-mère l'a plutôt appris comme un passe-temps sans répercussion économique, tandis que l'artisannat de mon grand-père, en tant que sculpture, possèdait une valeur monétaire non négligeable. Ainsi, l'artisannat de mon aïeule, étiqueté comme féminin, ne lui permettait pas d'augmenter ses revenus, alors que celui de mon grand-père lui permettait.


Toujours sur le plan avant, un camé monté une une chaîne en queue de rat apparaît. Cette chaîne m'a été offerte par ma grand-mère à mes 14 ans, avec l'argent qu'elle avait économisé pendant sa carrière d'infirmière. Ces bijoux sont pour elle un symbole de fierté, puisqu'ils dénotent la prospérité qu'elle a réussi à acquérir à travers ses années de travail pour son indépendance financière. Elle porte toujours ses boucles d'oreille avec trois types d'or avec fierté. Elle témoigne ainsi de sa réussite sociale, par un marqueur de clase capitaliste. Par ce camé, elle me transmet un statut social, qu'il est possible d'afficher comme un bouclier contre le mépris.


Enfin, sur le plan arrière, une photographie d'un paysage de Saint-Fulgence-de-l'Anse-aux-foins figure. C'est un village désormais partie intégrante de la ville composite de Saguenay. Ce village est l'un de ceux qui est les moins altérés par la transformation industrielle. Au limites de la ville, il accueille des bernaches du Canada aux saisons migratoires et l'un de ses revenus financiers principaux est le « festival de la bernache » où des individus circulent pour observer les migrations. Ma grand-mère participe généralement à ce festival, toutefois, elle déplore que l'activité humaine perturbe les migrations des oiseaux observés. Ainsi, l'activité capitaliste contribue à détruire sa propre source de revenu, en fatiguant les oiseaux pendant les migrations, les repoussant par la même occasion et raréfiant le passage de leurs populations. Son insertion dans les activités économiques lui permet d'en constater les dommages créés par cette même activité, mais elle confie généralement se sentir impuissante. Pour elle, sa vieillesse est un frein à la lutte et ses sentiments sont ambivalents sur le capitalisme, puisque malgré son aspect destructeur, ce système économique lui a donné l'occasion de s'émanciper.


En somme, ma photographie en double exposition réunit trois éléments qui présentent un lien avec ma grand-mère et sa relation au capitalisme : les limitations de revenu reliées à son genre, les dépenses spécifiques à son statut féminin, et les activités capitalistes qui modifient l'environnement dans lequel elle évolue. Ces trois aspects auront également été transmis à une autre génération de femmes sous le capitalisme, bien que les contraintes liées au capitalisme aient évolué. L'aspect microscopique est inséré dans l'aspect macroscopique, puisque les actions individuelles d'une communauté finissent par créer une large tapisserie qui modifie les monts et les vaux.




Médiagraphie


Sources pour le texte

Entretiens

BÉDARD, Gabrielle (Septembre 2020).  « Entretiens avec Jeannine Hubert », [Propos recueillis lors de conversations par l'auteur], Université d'Ottawa, Ottawa.



 
 
 

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