Le point de départ et guide principal pour mon billet est un article écrit par Marcela Aranguiz et Jean-Marie Fecteau sur le développement de l’errance à Montréal. Ce billet vise à explorer le traitement réservé à ceux marginalisés ou qui se marginalisent par la pauvreté selon les époques et la conception sociale de ce phénomène de marginalisation qui en découle.
Moyen Âge européen (XIVe siècle) : « Répression étatique féroce dans la plupart des pays d’Europe ».
Depuis, on assiste à l’implantation d’un système capitaliste, fondé conceptuellement sur la liberté individuelle. L’errance n’est plus un statut, mais une « carence personnelle remédiable ». L’(itin-)errant est quelqu’un de mal-socialisé ou de non-socialisé (marginal).
Début du XIXe siècle à 1870 (premiers effets de l’urbanisation (et de la paupérisation) sur Montréal) : augmentation du nombre de personnes errantes. Mesures municipales ponctuelles et répressives entourant le phénomène. L’objectif est le contrôle du nombre de mendiants, qui dérangent « une partie des citoyens de la cité ». Aucune orientation politique vers l’assistance. Apparition de soupes populaires et des premiers refuges qui soulagent les policiers du fardeau de prêter assistance à ces gens (nombreux vagabonds se réfugiaient dans les postes de police et y passaient la nuit). Au sein de ces refuges, on distingue ceux qui montrent le désir d’être réformé, de quitter le vagabondage et on leur prête plus d’assistance que ceux qui préfèrent y rester. L’errant, bien que relativement isolé, n’est pas structurellement séparé des pauvres qui vivent la précarité liée au travail. Il est la manifestation extrême de la misère posée par le capitalisme sauvage.
De 1870-1930 (le temps des refuges) : Au même moment où se développe une reconnaissance du besoin de prendre en charge la classe ouvrière, via le système, pour la protéger d’une pauvreté que l’on considère structurelle, plusieurs disciplines scientifiques mettent l’accent sur le besoin de catégoriser et de stigmatiser d’avantage les cas de « misère extrême ». L’errant devient une figure emblématique d’un « sous-prolétariat » impossible à réduire au travail qu’il faut s’empresser d’éliminer pour « nettoyer les villes ». L’incorporation d’une loi sur le vagabondage au Code criminel participe à cette répression systémique. On observe également une prolifération des refuges où se regroupent ceux qui errent et, après des années de pression populaire, les institutions politiques offrent un meilleur soutien aux refuges privés et ouvrent le premier refuge municipal. L’objectif principal de ce refuge demeure la réinsertion sociale, le reste des services étant accessoires à cette espèce de mission de sauvetage. Le vagabond représente cette frontière où le niveau de misère d’une personne capable devient inacceptable au vu du système.
L’État providence et après : Cette réformation sociétale, basée entre autres sur l’adoption du principe universel d’un droit à un minimum pour vivre, prétendait pouvoir « enrayer l’errance » et la misère extrême qui lui est associée. Cette prétention est accompagnée par l’abandon de termes péjoratifs comme le vagabond, remplacé par les termes « sans-abri » et « itinérance ». Ce dernier, implique un déplacement logique, parfois difficilement observable aux yeux de l’observateur. Il est même réputé nier l’errance, en ce sens où il nie l’absence de but précis à la mobilité qui est inhérente à l’errance. L’itinérance, influencée par des processus d’individualisation, de désinstitutionalisation de certains quartiers et de stigmatisation du rejet du confort matériel minimal, prend son essor dans le contexte d’une société dont l’objectif obnubilée par sa définition du progrès. Indépendamment de tout jugement de valeur, l’itinérant ou le vagabond est celui qui est « sans foyer, sans résidence et sans maître », alors que ces trois éléments sont constitutifs du mode d’existence collectif. Il incarne le rejet de cette façon de vivre (d’être?). L’itinérant qui rejette, ou qui est forcé de rejeter, ce minimum matériel que l’État vise à garantir, incarne un symbole de résistance qui montre que le réel déficit citoyen au cœur des inégalités : celui du pouvoir.
Source : Aranguiz, M. & Fecteau, J.-M. (1998). Le problème historique de la pauvreté extrême et de l’errance à Montréal, depuis la fin du XIXe siècle. Nouvelles pratiques sociales, 11 (1), 83–98. https://doi.org/10.7202/301425ar
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